Le Debrief

Cap de la quarantaine et périphérie du cool, racontés depuis l'Essonne. Mon autre publication sur Kessel : le feuilleton littéraire "Glory Box".

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Par Charlotte Moreau
1 juin · 4 mn à lire
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#26 Comment se dire adieu ?

Entre ces quatre murs blancs, les mots ne sont pas venus. On a regardé Roland Garros, lu les pages sport du Parisien, je l’ai aidé avec son plateau, les toilettes. Et je n’ai rien dit. Je n’ai pas dit ce qu’on dit quand on se parle pour la dernière fois peut-être. Et dans le parking, je me suis trouvée lâche.

MAI 2022. J'aime les adieux. Et j'aime le dire. Avec autant d’esprit bravache que de sincérité.

Sentir qu’une page se tourne. Que l'exceptionnel a eu lieu. Que ses conditions ne sont désormais plus réunies.  Et marquer le coup.

Ça m’a frappée dès l’adolescence, à l’âge des colonies de vacances, des retrouvailles que l’on se promettait à la fin de 3 semaines en apesanteur, pour prolonger la magie. Le RV fixé au McDo des Champs Elysées, le RER que l’on prenait de nos banlieues respectives, les étreintes devenues étranges, avec ces corps soudain trop habillés, ces vêtements qu’on ne connaissait plus, ces visages qui avaient perdu leur hâle. C’était terminé.

On n’était pas encore capables de se dire adieu comme des grands dès l’aéroport ou le quai de la gare. Alors on le faisait quelques semaines plus tard, avec le sentiment bizarre de s’être vus une fois de trop.

Depuis ce cérémonial-là, je me suis convaincue qu'il fallait savoir les faire, ces adieux. Que c’était un moment rare et puissant, de partir sans se retourner mais en ayant « dit les choses ». Ces circonstances où la vie vous met au pied du mur, vous invite à exprimer ce que d’habitude vous taisez, ne sont pas si fréquentes. Et quand elles se présentent, autant les saisir.

J’y ai évidemment repensé ce dimanche soir en regardant « Une fille facile » de Rebecca Zlotowski. Le personnage joué par Zahia Dehar y fait cette remarque, au sujet des gens qui ne se « voient pas mourir » : « Tout le monde dit que c’est génial. Moi je trouve pas. On te confisque la possibilité de penser, d'avoir peur. De dire au revoir aussi. De pardonner. De demander pardon. »

Prononcée de sa voix entêtante, cette voix d’actrice rétro qui semble sortie d’un film en noir et blanc, la réplique m’a remise face à l’année que je venais de passer. À toutes ces fois où la question des adieux s’y était posée.

J’avais saisi autant d’opportunités que je pouvais. Prendre la parole pendant les obsèques dun ami de la famille. Écrire un article sur les mots du deuil. Préparer ma fille aînée psychologiquement avant que notre fidèle Tartine ne revienne littéralement d’entre les morts. Verbaliser le plus possible avec un de mes intimes, lorsque la douleur de ne pas avoir parlé une dernière fois à sa grand-mère adorée l’a submergé.

J’avais saisi toutes les opportunités sauf une. Dans cette chambre d’hôpital où mon père, entre deux infarctus, attendait une opération de la dernière chance. C’était il y a un an, presque jour pour jour. Entre ces quatre murs blancs, les mots ne sont pas venus. On a regardé Roland Garros, lu les pages sport du Parisien, je l’ai aidé avec son plateau, les toilettes. Et je n’ai rien dit.

Je n’ai pas dit ce qu’on dit quand on se parle pour la dernière fois peut-être. Les souvenirs partagés, la transmission. Je suis repartie comme si on allait se revoir, en sachant que le risque était grand.

Dans le parking de l’hôpital, je me suis trouvée lâche. Oui, je suis arrivée à l’âge où c’est moi qui protège mes parents. Mais cela justifiait-il une telle banalité ? Qui avait protégé qui, au fond, dans cette chambre ?

J’ai compris que j’avais vieilli. Que les adieux étaient toujours aussi délicats à 41 ans qu’à 15. À la fois plus faciles à faire - parce qu’on sait quoi dire et à quel moment il faut le dire - et plus difficiles. Parce que les mots parfois ne veulent pas sortir, même nets, même parfaitement élaborés. Et peut-être justement à cause de ça. 

L’opération a réussi. Neuf mois plus tard, on fêtait les 85 ans de mon père. Et c’est là que j’ai dit mon silence, le silence de cette chambre, cet après-midi-là. J’ai pris mon papier, je l’ai lu en bafouillant un peu et j’ai bien plombé l’ambiance. On plombe souvent l’ambiance quand on marque le coup. Quand on rend fragile ce qui était festif.

Depuis, j’aime toujours autant les adieux. Célébrer ce que l’on peut perdre, ce que l'on va perdre. Au fond, il n’y a aucun bon moment pour ça. Et partant de là, aucun mauvais moment non plus.


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Le tapis rouge cannois au jour le jour dans mes stories à la une.  Du Top Gun et du Tom Cruise en veux-tu en voilà.  Une chronique douce-amère de mes années blogosphère. Un verbatim en direct du Parc Astérix. Un extrait du cinglant "Voyant d'Etampes".  Mon tuto capillaire annuel. Une critique de The Assistant, ombre portée de l'affaire Weinstein.  Mon syndrome de la robe qui n'existe pas.