Le Debrief

Cap de la quarantaine et périphérie du cool, racontés depuis l'Essonne. Mon autre publication sur Kessel : le feuilleton littéraire "Glory Box".

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Par Charlotte Moreau
30 sept. · 5 mn à lire
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#30 Je vous mets au parfum ?

De la petite fille modèle, je n’avais pas la netteté, avec mes cheveux en épi, mes ongles rongés et cette manie de trouer mes pantalons au genou. Quelque chose était toujours « dérangé » sur moi et gâtait le tableau d’ensemble. L’écolière introvertie avec toute sa panoplie, vêtements sages et parfums compris.

Pour démarrer cette biographie olfactive, onze ans après la première version ébauchée sur feu mon blog mode, il faut exhumer Tartine et chocolat puis, à l'approche de la puberté, Anaïs Anaïs. Ils m’avaient été fournis avec le même pragmatisme que le premier cartable ou la tenue de gym hebdomadaire. Comme on vous équipe pour bien grandir.

J’empruntais les mêmes sillages que mes soeurs à quelques années d’intervalle, et ne savais pas encore à quel point ça resterait vrai. J’ai quatorze ans de moins que l’aînée, Anne, dix de moins que la cadette, Muriel. Écrire sur les parfums de ma vie, c’est d’abord écrire sur ma fratrie.

L’histoire commence là, dans ces chambres plus grandes que la mienne, à un autre étage que la mienne. Dans ces fétiches de jeunes filles que je venais y observer, moi le bébé, l’éternelle petite dernière, celle qui faisait tout après. Celle qui venait fouiller dans les livres et les disques, dans les bijoux, les foulards et les flacons.

On quittait donc l’enfance avec Cacharel.
La senteur elle-même importait moins que la tradition, le rite de passage, pour trois filles élevées en français par une mère allemande. Les parfums d'outre-Rhin, ces Joop! et ces Jil Sander tellement plus doux que les références parisiennes et qu’on aimerait follement sur nos tantes, on les découvrirait et on les achèterait plus tard, à force de passer nos vacances à Hambourg ou Hostenbach.

En attendant, on marquait les étapes et à 12 ans, j’étais déjà pressée. Anaïs Anaïs me déplaisait avec sa note florale et pincée, moi c’était Loulou que je voulais, sa sensualité poudrée, celle que je sentais dans le cou de Muriel. « Tu es trop jeune » m’avait dit ma mère, vigilante. Premier garde-fou. Si je ferme les yeux trente ans après, c’est encore cette vibration-là que je ressens. Le flacon rouge et bleu tentateur, posé dans la chambre de ma soeur, sur la tablette en marbre de sa commode. Moi venant le sentir en cachette. Moi attendant d’être assez grande.

Loulou fut le premier d’une interminable liste de parfums « charnels » que j’ai essayé de m’approprier après les avoir aimés sur mes grandes soeurs : L’Heure Bleue de Guerlain, Classique de Jean-Paul Gaultier, Maroussia de Slava Zaitsev, Parfum d’été de Kenzo, Jungle de Kenzo,  Flower by Kenzo, Le Parfum de Lolita Lempicka.
Irrémédiablement, ils sentaient meilleur sur elles. Irrémédiablement, j’en rachetais dans l’espoir qu’un jour ça change, qu’un jour je serais peut-être « assez grande ». Ça paraît absurde mais je l’ai compris récemment, qu’un écart d’âge ne se rattrape pas. Que c’est autre chose que l’on crée.

Parallèlement, il y a eu les amitiés féminines, tous les talismans qu’elles m’ont laissés au fil des années 90 puis 2000. Oui-Non de Kookaï, Sun Moon Stars de Karl Lagerfeld, CK One de Calvin Klein, Fantasme de Ted Lapidus, Hypnotic Poison de Dior, Bois Farine de l’Artisan Parfumeur. Là encore, je fonctionnais par imprégnation. Me laissais séduire par la peau d’une fille chère à mon coeur ou par un parfum totem, marketé pour notre génération.


J’ai toujours pu compter sur ma mère pour encourager et co-financer cette exploration. Passé l’interdit Loulou, nous avions nos passerelles aussi, Angel pour elle, Angel Innocent pour moi. Pas une nouveauté ne sortait chez Sephora sans que ma mère la connaisse. Et mon père, bien que né en 1937, a souvent porté du Gaultier et du Lempicka pour homme sur ses conseils. Ces odeurs modernes sur sa peau marquée de tâches de vieillesse m’ont toujours émue.

C’est finalement quand ma mère m’a lâché la main que l’errance a commencé. Sur le plan vestimentaire, je n’avais pas de style signature et n’en cherchais pas. En revanche, je rêvais d'être reconnue à mon odeur. Pas précédée par elle - j’ai toujours trouvé que la bonne aura, c’est celle que l’on pénètre quand on vous enlace ou vous embrasse - mais reconnue, oui.

Alors j’ai commencé à chercher LE parfum. L'unique. 
Ambre gris de Balmain, Armani Code, Kenzo Amour, Miss me et Acqua de Stella Cadente, Sun de Jil Sander, Le bain de Joop !, Musc de Réminiscence… Des explorations que je documentais en ligne, du temps où il y avait Tartine dessinée sur la bannière de mon blog et où je tenais une très fournie rubrique « vanity ».

Je ne voulais pas être infidèle et pourtant je l’étais. Je savais exactement ce que je cherchais et c’est pour ça que je ne trouvais pas. Car comment mélange t-on les odeurs de peau chauffée au soleil, de fleurs blanches, de musc, d’amande, de shampooing Dessange et de lait Bübchen

Au fil des ans et faute de mieux, je suis régulièrement revenue à Miss me de Stella Cadente et Musc de Réminiscence dont je viens de terminer un énième flacon cet été. Le premier tient bien mais est un poil trop frais à mon goût. Le second est quasi parfait mais ne tient pas. Comme tous les parfums s’approchant du Graal. Comme Louve de Serge Lutens. 

La signature olfactive, si je pouvais en avoir une, ce serait celle-ci. Le choc en la découvrant, en 2009. Le sentiment d’être enfin chez soi, enfin soi. Mais la déception à l’usage, tant la fragrance est fugace, évanouie en moins d’une heure. Et quand on coûte un oeil, un rein et la peau du cul avec… Non merci.

Même frustration avec les parfums sur mesure de Stéphanie de Bruijn, testés en 2011, dans le cadre d’un article pour Le Parisien. Il m’a suffi de lui dire tout ce que j’aimais pour que Stéphanie le concocte, ce sillage rêvé. Mais lui aussi se dissipait trop vite. La faute sûrement aux ingrédients, par essence légers et volatils, qui le composent. Ces ingrédients vers lesquels je reviens toujours. Et qui m’ont successivement et temporairement amenée ces dernières années vers Musc et Tonka de Solinotes (portés superposés), Avant l’orage de Maison Matine, Cashmere Kumquat de Korres et, dernière arrivée dans ma salle de bains, l’Eau Rêve de Miel de Nuxe.

À défaut de me poser, je gravite autour des mêmes composants, des mêmes émotions.
De mes intimes, je reçois généralement des compliments sur ces choix qui, d’une manière ou d’une autre, me ressemblent. 50 nuances de moi, à défaut d’en avoir une seule vraiment juste.
Mes filles restent en terrain connu, toujours quelque chose d’un peu doux et d’un peu sucré. Tous les chemins mènent à Maman. À mes bras. Et à ce parfum-câlin qui, par définition peut-être, ne peut jamais durer. 


RV le lundi 31 octobre pour le prochain Debrief


Quelques liens (par ordre d’apparition) 

Maroussia de Slava Zaitsev
Sun Moon Stars de Karl Lagerfeld
Le lait bébé Bübchen dont ma mère enduisait mon doudou
Miss me de Stella Cadente
Acqua de Stella Cadente
Parfum semi-mesure Stéphanie de Bruijn : le mien, Délice + ingrédient supplémentaire « Musc » (après questionnaire et RV)
Musc de Solinotes
Tonka de Solinotes
Avant l’orage de Maison Matine
Cashmere Kumquat de Korres