Le Debrief

Cap de la quarantaine et périphérie du cool, racontés depuis l'Essonne. Mon autre publication sur Kessel : le feuilleton littéraire "Glory Box".

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Par Charlotte Moreau
22 mai · 3 mn à lire
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#20 Soit je m'écrase, soit je m'enflamme

NOVEMBRE 2021. Faudrait pas m’envoyer à Yalta. Faut même pas m’envoyer dans une brocante. Et pourquoi croyez-vous que j’évite Vinted ? Je déteste négocier.

NOVEMBRE 2021. Faudrait pas m’envoyer à Yalta. Faut même pas m’envoyer dans une brocante. Et pourquoi croyez-vous que j’évite Vinted ? Je déteste négocier.

Qu’une administration me fasse du tort, qu'une opportunité me passe sous le nez et je m'arc-boute en criant à l’injustice. Ce qui fait immanquablement sourire mon cher et tendre. Une fine mouche dont je peux constater à chaque coup de fil, chaque visioconférence - nous télé-travaillons tous les deux - les talents de diplomate. Pas un mot plus haut que l’autre, pas une estocade portée frontalement à l’adversaire. Et personne ne la lui fait à l’envers.

Moi ? Pour obtenir ce que je pense m’être dû, je n’ai ni patience, ni longueur de vue. Mon éternel syndrome de la bonne élève, traîné depuis les bancs de l’école et les premières vexations familiales. Différent du complexe de l’imposteur avec lequel on le confond parfois - le podcast et le test de Jenny Chammas sont assez éclairants à ce sujet - il est lié tout entier à cette idée de mérite, que j’espère toujours voir récompensé.

Si j’ai tout fait dans les règles de l’art, été claire, raisonnable, je dois avoir gain de cause. Alors quand on n’entend pas une demande que j’estime légitime, mon compteur s’affole. Tout de suite, je ressens un préjudice. Et rumine ma frustration, ou empoigne mon clavier en mode colère froide. Me résignant... ou attaquant, au lieu d’avancer mes pions calmement.

Moralité ? Je n’ai jamais un coup d’avance, ne sais pas manier mes interlocuteurs en douceur à mon profit. Comme si je m’étais jetée dans la jungle de l’existence nue et désarmée. Qu’il faille transiger, prendre du recul, fixer ma propre valeur au risque qu’elle ne fasse pas l’unanimité, et me voilà démunie. Paralysée par l’enjeu, par cet ego chiffonné qui prend encore tant de place. De peur de déplaire et qu’on puisse me suggérer que je n’ai pas « mérité » ce que je demande. Négocier, parlementer, c'est être plus serein et joueur que je ne le suis. C'est faire preuve d'agilité intellectuelle et émotionnelle. Avancer en terrain aussi instable me renvoie à des peurs primales que j'ai identifiées depuis un moment déjà. Mais analyser une insécurité et agir en conséquence sont deux démarches tout à fait hermétiques. On peut avoir tout compris à ses schémas de conduite et échouer à les dépasser.  Assumer d'en être encore là, ça peut être charmant à 30 ans. Un peu moins dix ans plus tard.  À bientôt 41 ans, je commence à trouver le temps long et ce fonctionnement binaire, épidermique, un peu encombrant. Y compris en famille, où je peux vriller très rapidement. Généralement en haussant le ton (un euphémisme) quand les choses ne vont pas dans le bon sens. Et en entendant mon aînée morigéner sa petite soeur, je pense avec effroi à l’exemple que je donne.  Il n'est pas que mauvais, heureusement. L'absence de calcul a un ou deux avantages. En amitié, que j'ai rares et riches, en projets créatifs, les plus passionnants qui soient.  Quand tout va bien, je ne compte pas mes heures.  Quand rien ne va plus, je ne sais pas faire semblant.  Mon baromètre d'inconfort, lui, est d'une fiabilité à toute épreuve.