#48 Écrire sur mon poids

« Je m’acharne à l’ouvrir, même si personne ne me regarde, même si personne ne m’écoute » J’avais annoncé la couleur avant l’été, dans le dernier chapitre de « Glory Box ». Qu’après deux années passées à raconter mon arrivée dans le monde du travail, mes débuts rocambolesques dans le journalisme, à quel point j’y avais été maladroite et malmenée parfois, il y aurait autre chose en cette rentrée, un autre récit. Mais lequel ? Si j’écris des livres, je ne suis pas romancière. Si je veux raconter une histoire, ce sera toujours la mienne.

Il y a encore un an, vous m’auriez dit qu’un beau matin j’afficherais mon poids sur Instagram et que ce serait ça, mon thème d’écriture, je n’y aurais pas cru. Occupée que j’étais à me situer par rapport à ce chiffre, ses oscillations, mes illusions. 

Parce qu’il y a encore un an, je pensais m’en débarrasser, de ce chiffre. Le vaincre, un peu comme à chaque rentrée d’ailleurs. Avec ces neuf longs mois qui s’étendent devant moi et me donnent de l’espoir, chaque fois, chaque année, l’espoir de me retrouver enfin. D’opérer une mue à la fois lente et spectaculaire, menée dans le secret des manches longues et des jeans larges.

Mais entre la rentrée 2023 et l’été 2024, je ne me suis pas retrouvée.
Il m’est arrivé pas mal de choses et puis au mois de mai, j’ai enfin compris. Que la persistance de ce chiffre, ses ramifications dans mon passé, ce n’est pas simplement quelque chose que je vis. C’est quelque chose que je peux, que je dois raconter.

J’ai passé l’été à moitié excitée, à moitié terrifiée. Au fil des jours le je dois est redevenu un je peux et puis un c’est une énorme connerie.

La suite, la voilà.

Les premières lignes de « 76 kilos », mon nouveau projet littéraire sur Kessel.
Une introduction pour planter le décor, préciser ma démarche, avant le chapitre 1, qui paraîtra le 15 septembre prochain. 

« 76 kilos », c’est forcément le titre

Parce que j’ai bien remarqué et vous aussi : à partir de 70 kilos on ne dit plus trop son poids. Surtout ma génération.

76 kilos c’est bizarre, inconfortable à énoncer comme à entendre, car quoi en penser. À ce compte-là autant peser beaucoup moins ou carrément beaucoup plus et choisir son camp. 76 kilos ça n’a pas de sens et c’est de là que je veux écrire, pendant un an, douze mois, douze chapitres. 

J’en décide avec une page A4 de notes, recto même pas verso, je pars à poil, sans filet, comme si davantage était superflu, comme si ce poids-là quand on est une femme c’était moins un chiffre qu’un destin.

Et évidemment que ça me brûle les doigts et que je balise.
En 2024, elle n’a pas mieux à faire la journaliste. En presse féminine en plus, et après on s’étonne. 

Mais combien de temps encore interroger le corps des autres sans être au clair avec le mien. 

Parce que 76 kilos c’est un héritage, celui des années 90 et 2000.
C’est cette forme de dissonance cognitive qu’il y a à grandir avec le diktat de la minceur et à vieillir avec le body positivisme. Et toi au milieu qui n’arrives pas à appuyer sur l’interrupteur. 

Est-ce que c’est trop tard pour les gens comme moi, trop tard pour se laver les mains d’un conditionnement massif, organique, d’une vérité cousue à même la peau. Tu seras légère, ma fille.

76 kilos, c’est un poids puissant et pourtant ce n’est pas la puissance que je ressens. 
C’est un poids d’homme et pourtant je ne suis pas un homme. 
C’est un angle mort, un endroit d’où on se tait et c’est pour ça que je vais parler.
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NB2 : si vous voulez découvrir Glory Box, l’intégralité des 22 chapitres est désormais disponible.