Le Debrief

Cap de la quarantaine et périphérie du cool, racontés depuis l'Essonne. Mon autre publication sur Kessel : le feuilleton littéraire "Glory Box".

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Par Charlotte Moreau
15 nov. · 4 mn à lire
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#42 L’esprit d’équipe

C’est tellement cool de revivre un truc pareil, à 40 ans passés. Former une bande, une bande de filles.

J’en ai connu plusieurs pendant mes jeunes années de blogueuse mode, et à la télévision. J’ai toujours aimé ça mais je croyais que cette époque était derrière moi. Jusqu’à 30 ans on se cherche mais passé 40, on a envie de dire au monde entier qui on est. Et souvent, on le dit seul. 

C’est aussi une question d’outils. Instagram a beau être un open space géant, où nous sommes parqués dans nos grilles comme dans les bureaux de Matrix, c’est le réseau parfait pour s’affirmer en solo.

Du coup quand j’ai voulu fêter les 4 ans du « Dressing Code », c’est seule que j’ai démarché Place des tendances. Je leur ai proposé de créer ensemble des contenus de conseils vestimentaires dérivés du livre. Il en est sorti plein de choses qui vont arriver très vite, un live dès ce jeudi (1), puis un podcast (MAIS OUI) et aussi ce que je n’attendais plus : une bande. 

Car au moment où je cherchais un partenaire, ce partenaire en cherchait aussi. Une voix pour la mode, une voix pour la déco, une voix pour la beauté, une voix pour le lifestyle/la famille. Quatre drôles de dames.

Je me suis demandé qui ils allaient choisir. Ils cherchaient des expertes plutôt que des influenceuses, je n’avais aucun nom à suggérer et ça a été le grand point d’interrogation jusqu’au 25 septembre, où notre casting final a été réuni pour tourner des interviews. L’architecte d’intérieur et décoratrice Jessica Venancio, la maquilleuse Barbara Ngana, la photographe Safaa Colin, et moi.

Ce jour-là, les choses ont été si simples si fluides et si joyeuses, et rebelote lors de notre deuxième rencontre en octobre, que j’ai eu envie de remonter le temps et de revisiter mes souvenirs de « girls bands ».

Parce qu’on va se l’avouer, quand tu es une ancienne blogueuse mode, on suppose généralement deux choses : que tu as fait partie d’un phénomène collectif (contrairement aux influenceurs qui travaillent donc plutôt seuls) et que ces interactions féminines sont parfois… compliquées ? 

C’est justement cette complexité qui fait toute la magie des bandes de filles. Comment un attelage de personnalités hétéroclites, avec chacune sa manière de prendre l’espace et la parole, va se mettre à exister. Comment toutes ces énergies convergent d’un coup et ce que ça crée d’encore singulier, d’encore autre.

C’est un truc qui m’a frappée dans le - fabuleux - doc consacré à David Beckham sur Netflix. Ce passage où l’une des Spice Girls rappelle que le concept du groupe repose sur la singularité des chanteuses et pas sur leur mimétisme. À bien y réfléchir, c’est rare. Ça l’est resté. Même les plus étincelants girls bands comme Destiny’s Child ou TLC ne faisaient pas ça. Le premier était structuré en miroir autour d’une seule reine, le second proposait trois identités distinctes mais aux vêtements assortis. Artistiquement, il y avait l’idée d’osmose, d’une variation sur le même thème. L’osmose faisait partie du message. L’osmose était le message.

Les groupes de blogueuses, c’était tout l’inverse. Personne n’aurait eu l’idée de chercher trois Cherry Blossom Girls pour former une sorte de collectif. Il n’y en avait qu’une. 

Ma première expérience de girls band, ça a d’ailleurs été avec elle. Il a disparu depuis mais en 2008 un réseau social dédié à la mode avait été créé par des entrepreneurs français. Il s’appelait Modepass et je faisais partie de ses « ambassadrices ». Je me souviens de soirées passées à ricaner comme des gamines avec Punky B, Tokyobanhbao, The Cherry Blossom Girl ou Betty Autier. Peut-être parce que nous nous comprenions comme seuls des anciens combattants ou anciens candidats de « Koh-Lanta » peuvent se comprendre. Avoir un blog mode avant la création d’Instagram, c’était fou. Penser que des filles qui ne se connaissent pas pouvaient socialiser autour des vêtements, c’était inédit, massif et incompréhensible. Que faisaient donc toutes ces bonnes femmes à parler ensemble ? Le reste du monde nous observait, nous et nos lectrices, avec des yeux ronds. Les bandes de filles ne se déployaient plus seulement dans les établissements scolaires, en boîte ou dans les séries télé, elles se formaient sur Internet. 

L’aventure « Quand les blogueuses s’en mêlent » est arrivée dans la foulée en 2009 avec Audrey Lombard, Violette Sois belle et parle, Et pourquoi pas Coline, Miss Glitzy et Walinette. C’est cette dernière qui a soufflé nos noms au chausseur André, à l’époque où les collaborations entre marques et blogueuses balbutiaient. Il n’a jamais été question d’uniformiser les créations, d’harmoniser les coloris ou les matières. Ce qu’André voulait c’était le groupe mais pas l’osmose, des chaussures et des identités distinctes. Six possibilités de se projeter plutôt qu’une. 

Évidemment plus personne ne prendrait un tel risque aujourd’hui. André fait partie du monde d’avant, et il y a quelque chose d’émouvant à savoir qu’on a bénéficié d’un privilège peu avant sa disparition. 

La force du groupe c’est aussi celle-là, celle de l’éphémère, ce petit miracle d’« avoir été ». Quand l’individu aspire souvent à la cohérence et au temps long, le groupe peut représenter tout l’inverse : la parenthèse, l’échappée, l’accident.

Et c’est à ça que je pense, un accident, en côtoyant Jeanne Damas dans le collectif L’Officiel New Talents en 2012. Elle a 20 ans, n’est pas encore l’incarnation mondiale de la Parisienne et c’est pour ça que nous pouvons co-exister dans cet improbable projet : un hors série de L’Officiel dans lequel les sujets sont incarnés et/ou signés par des blogueuses, Fanny Flory, India Weber, Jeanne Damas, Kenza Sadoun - el Glaoui, Margaux Lönnberg, Marie Courroy, Marie Potier, Natacha Hadjez et moi sur le numéro 1. 

Retranchée derrière mes obligations de titulaire au Parisien, je fais le minimum syndical, imaginer un calendrier olfactif pour les pages parfums, mais sans assister au shooting. On ne me le propose pas et je ne le demande pas. Je sais déjà que je ne suis pas à ma place. Je viens de la presse populaire et de la télé, je ne lis ni L’Officiel ni Jalouse, ne suis pas curieuse de tous les gens branchés dont il y est question, me borne à venir faire mon portrait parce qu’on ne crache pas sur une telle invitation. En coulisses, j’assisterai à ce truc fascinant : la métamorphose du petit chat fragile, discret à l’extrême le jour de la séance photo, en cover girl sensuelle dans les pages du magazine. Jeanne Damas, donc.  

La force du groupe ? Pouvoir être une erreur de casting sans que ça porte à conséquence. Un numéro, merci bonsoir. Quelques mois plus tard, je commencerai le manuscrit de mon « Antiguide de la mode » et à vider mes placards. Aurais-je franchi ce palier seule ? Probablement pas. En observant ce moment charnière avec onze ans de recul, je me vois illustrer l’adage : « seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ». Il m’a fallu le groupe, le contraste du groupe, pour comprendre de quoi j’avais désormais besoin : m’isoler, m’alléger, réfléchir. 

Cet allègement et cet isolement m’ont presque poursuivie, jusqu’à l’incendie qui a emporté les archives de mon blog en 2021. J’en parle souvent, trop souvent peut-être, mais cet événement a eu des conséquences tentaculaires dans ma vie. Mes livres ont pris le relais, ELLE a pris le relais, et avec eux, l’idée d’expertise a pu naître. Aujourd’hui c’est avec cette étiquette-là, « experte mode », que j’ai déboulé dans la « dream team » Place des Tendances. 

Je ne suis pas là pour parler des produits en vente sur le site, des influenceuses le font déjà et très bien. Je suis là pour parler du vêtement vécu, du vêtement porté, du temps qu’on perd et du temps qu’on gagne devant son dressing, de son impact sur nos journées et sur notre moral. 

Et ce propos prendra deux formes :

1) Des lives Instagram trimestriels, et ça démarre cette semaine sur le thème « Faut-il avoir du style ou un style ? », ce jeudi 2 novembre de 18h30 à 19h sur le compte Instagram @placedestendances. J’y explorerai cette notion de style, qui semble si cool et évidente dite comme ça et qui en fait est complètement à double tranchant quand on y pense. Vous avez des remarques, des questions ? Vous pouvez me les transmettre dès maintenant, elles alimenteront cette demi-heure de réflexion collective.

2) Un podcast, que je vais commencer à enregistrer le mois prochain et dont les épisodes s’appelleront… s’appelleront… LE DRESSING POD. Pouvait-il en être autrement ?


RV le jeudi 30 novembre pour le prochain Debrief

                                                                                                    


📚 SI VOUS AVIEZ DES COUILLES… 

Dans le chapitre 14 de Glory Box paru ce mois-ci, j’ouvre le courrier des lecteurs et c’est violent.
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